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Acerca de

CHARTREUSE TERRE DES BRAVES
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Quatre-vingt ans après la fin de la seconde guerre mondiale, des «Va-t-en-guerre» qui se veulent érudits, n’ont visiblement rien retenu de l’Histoire. Moi, l’enfant issu de la société d’en bas, j’ai retenu celle de mon grand-père....

 

 

 

Chartreuse, terre des braves.

 

Vingt heures, il est l’heure d’aller se coucher. Le vieil homme s’allonge et prend l’enfant dans ses bras. Proches l’un de l’autre, ils se contemplent avec amour. La faible lumière de la lampe les invite au voyage.

 

« Pépé, tu peux me raconter une histoire s’il te plaît ?

- Ok, encore une qui se passe dans le grand nord ?

- Non, je connais déjà toutes les aventures des chercheurs d’or du Klondike, de Dawson City et du Yukon …

- Tu préfères un passage de la guerre de 39-45, celle que nous avons vécue,  ta mère et nous tous…

- Oh oui, s’il te plaît !

- Mets - toi sur le dos, comme moi et regarde en l’air.

- Voilà...» répond l’enfant une fois en position.

 

L’homme éteint la lampe. Tous deux fixent le plafond malgré une totale obscurité.  Comme avant chaque histoire, la pièce est envahie par une étrange ambiance, moitié silence, moitié suspense,...puis :

 

« Nous sommes début 1944, les Allemands et les miliciens sont aux quatre coins de Voiron. En partant de Plan Menu, il y en a un tous les dix mètres sur le bord de la route, devant les usines de l’Antésite, l’école Nationale...partout. La région est occupée. En janvier, ils ont commencé à tenter de mater le maquis du Vercors. Depuis 1940, des hommes et des femmes ont pris les armes. Contrairement aux gens qui dirigent la France, ils ne veulent pas laisser le pays aux nazis. Tous sont décidés à mourir libres, plutôt que de vivre sous le joug de l’envahisseur. Cette nuit - là, il fait très froid dans les corps, dans les cœurs. Mais tous ont une flamme en eux...Celle de la liberté … De l’autre côté de la cluse de l’Isère, au loin, des lumières oranges illuminent le Vercors par intermittence. Le spectacle pourrait être beau, s’il ne s’agissait pas de bombardements… On n’entend rien, la faute à l’inégalité entre les vitesses du son et de la lumière. De notre position, nous comprenons que notre tour viendra. Il nous faut partir. La Chartreuse est là, protectrice comme une mère, elle tend les flancs, pour nous offrir un dernier refuge… un dernier nid d’aigle où se replier pour empêcher La Bête de venir nous chercher. Les trois fontaines sont déjà loin derrière nous. Le franchissement du pas de la miséricorde nous fait espérer qu’il n’en ait pas que le nom… mais que le Dieu des résistants nous l’accordera…Les mulets sont à bout de force, et nous sommes gelés. Nos pieds en compotes ne valent pas mieux que leurs sabots usés par la marche. Le vent glacial nous offre la meilleure des protections possibles, car les boches ne viendront pas nous chasser dans cet enfer. Nous tremblons de froid, à moins que ce ne soit de peur. Celle de ne jamais revoir nos familles, nos enfants. Celle d’être capturés pour endurer les pires choses…

Avec mon ami La Puce, nous sommes là, au cœur du petit groupe, tous accroupis aux pieds des mulets. Nous leur tenons la gueule pour éviter les bruits. Nous écoutons le silence qui tente de nous rassurer. Peut-être que ce n’est que Dame La Peur qui nous a joué un tour, trompant nos sens pour mieux nous tourmenter ! Prudence est mère de sécurité. Alors nous écoutons. Pas un bruit, sauf ce maudit vent quasi polaire, nous allons repartir. Oui nous repartons enfin ! Solidement encordées sur le dos des animaux, les caisses sont lourdes. Le métal tape contre le bois, et les chocs entament la peau des mulets qui sursautent de douleur à chaque pas. Il nous faut pourtant avancer. Les armes doivent être livrées au réseau, pour aller faire des coups de force dans tous les pans de la Chartreuse.

 

Fils de la montagne, nés dans ses entrailles, nous ne sommes que des passeurs car nous la connaissons depuis toujours. Nous l’avons traversée dans le ventre de nos mères, elle a vu nos premiers pas, bercé notre enfance, et abrité la pose de nos premiers collets à lapins… De ceux qui permettent d’améliorer un repas qui se voulait sans viande. Est-ce pour cela que nous nous battons ? Ces maigres repas, ce peu de tout et ce tout de rien que nous offre notre condition modeste ? Alors que les nantis ont abdiqué par confort pour conserver leurs privilèges ! Ici, nous nous battons pour l’honneur. Celui d’être ceux que nous sommes. Pour gagner le droit de retourner vers cette terre qui nous nourrit et nous fait tant souffrir… vers cette terre qui est la nôtre. La France !

Une mule crie. La Puce allume discrètement son briquet à essence en tentant de masquer la petite flamme qui danse. L’animal a la peau à vif. Bien que gelé, mon fidèle ami enlève un de ses gants pour le glisser sous le point de frottement… Ils souffrent ensemble, pour une mission qu’ils doivent accomplir ensemble…Peut-être vont - ils même mourir ensemble, sous les bombes aveugles de cet envahisseur qui va pilonner. Ils sont unis dans la lutte. La crête arrive, non pas à grand pas, mais dans la douleur. Tout est silence car la neige aspire les bruits. Le tapis de feutre blanc est froid. Le jour va se lever dans quelques heures, donnant quartier libre à cette magnifique pleine lune complice qui a guidé nos pas. Un nouveau jour commencera. Sera-t-il le dernier ? Si oui, le dernier de quoi ?

Le convoi stoppe alors qu'un coup de sifflet déchire l’insoutenable silence. Puis un autre. Des hommes armés sortent de la lisière de sapins, ils sont là pour accueillir notre chargement. Les mulets sont soulagés, les hommes aussi. Tout est mis au sol. Pistolets mitrailleurs, grenades, munitions, nourriture... Tout est là…. La joie s’invite au milieu des accolades. On embrasse des gens dont on ignore tout, et c’est mieux comme ça. On partage une cigarette, un morceau de pain. Une bouteille tourne. Elle abrite une vipère dans son bain de gnôle…. De quoi effrayer ceux qui ne la connaissent pas, mais surtout de quoi réchauffer le cœur et le corps des braves… Ici, en Chartreuse, l’alcool de vipère est de tous les grands évènements… Ce soir, les caisses sont arrivées à bon port. Une petite victoire, mais il reste à redescendre, rendre les bêtes… Avec La Puce, nous devons nous remettre en route… Pour rentrer, aller travailler, comme si de rien n’était…

- Et vous n’avez jamais eu de problème en montant ces armes dans la Chartreuse, pépé ?

- Non ! Mais une fois j’ai eu beaucoup de chance !

- Tu me racontes !

- Si tu veux ! J’étais parti en vélo de Voiron pour aller à Pommiers la Placette, en passant par La Buisse où je devais déposer quelque chose. D’habitude, je passais par le Grand Ratz. Arrivé à Voreppe, des soldats allemands m’ont arrêté. Il y avait déjà tout un tas d’hommes. Ils nous ont alignés et un officier est venu nous dire qu’il y avait des problèmes avec les maquisards locaux. Il a mis un soldat derrière chacun d’entre nous, puis a ajouté « si j’entends un seul coup de feu dans la Chartreuse, vous êtes tous morts ! ». Je me suis retourné pour regarder celui qui était derrière moi. Il était très jeune. Je me demandais ce que je devais faire « quitte à claquer, je vais en crever un ! » et j’ai vu toute ma vie défiler, comme sur un écran de cinéma. Je n’ai pas bougé. Miraculeusement, pendant toute la durée de l’attente, il n’y a eu aucun coup de feu. L’officier est passé devant nous pour désigner des gens « Vous, vous, vous, vous , dans le camion ! » en me désignant . J’allais monter quand il a changé d’avis et m’a dit « non pas vous, vous ! » en celui à côté de moi. Le bahut est parti et j’ai été relâché. Ce jour – là, personne n’aurait pu me rattraper à vélo. Par la suite, j’ai appris que ceux du camion avaient été fusillés…

- Waooohhh ! Et alors ?

- Alors, j’ai continué à monter des armes au maquis de la Chartreuse !

- Je peux te poser une question, pépé ?

- Oui !

- Quand on monte vers la Grande Sure, depuis les trois fontaines, on s’arrête toujours au pierrier qui traverse en dessous du rocher du Coq, à côté du même arbre et tu t’assoies. Là, tu bois un coup de vin rouge à la rasade avec ta gourde en cuir. Dis-moi, c’est là que vous vous arrêtiez avec La puce et les mulets ?

- Dors mon gars, dors, il est tard ! L’obscurité fut témoin de l’évasion d’une petite larme, mais ne la dénonça pas.

- Bonne nuit, pépé ! »

 

Dans le silence qu’impose une telle histoire, l’enfant tira la couverture car il savait que dans la Chartreuse ou le Klondike, la nuit allait être très froide.

 

 

A mon grand-père Fernand Genève, né à Chantabot dans le village de Pommiers la Placette. C’est le dernier hameau que l’on traverse pour aller aux trois fontaines….(Bien que cuisiné par toute la famille, il n’a jamais révélé le point de livraison…..)

A son complice « La Puce ».

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